Photographie personnelle, 2011

Légende Africaine 

La légende, récit traditionnel qui transmet des valeurs culturelles et des croyances populaires. Elle se distingue des autres formes narratives telles que le  mythe, la fable, le conte et l’histoire par certains éléments spécifiques : 

Les mythes, récits sacrés ou religieux qui expliquent l’origine du monde, des  dieux, des forces naturelles, et les relations entre les humains et les divinités.  Les mythes sont souvent considérés comme des histoires fondatrices et font  partie intégrante d’une culture ou d’une religion spécifique. 

Les fables sont des histoires courtes et allégoriques mettant en scène des  animaux ou des personnages anthropomorphes qui ont des caractéristiques  humaines. Elles sont souvent utilisées pour transmettre une morale ou une leçon  de vie, et visent à enseigner une valeur ou un comportement spécifique. 

Les contes sont des récits fantastiques ou merveilleux qui mettent en scène des  personnages et des événements imaginaires. Ils sont souvent transmis par voie  orale et ont une dimension symbolique. Les contes peuvent avoir des éléments magiques, des héros, des méchants, et sont souvent destinés à divertir et à  donner un enseignement sur la vie. 

Contrairement aux légendes, l’histoire se réfère généralement à des événements  réels ou à des récits basés sur des faits vérifiables. Elle cherche à documenter et  à transmettre des informations sur des événements passés, des personnages et des développements authentiques. L’histoire est généralement basée sur des  preuves et des recherches factuelles. 

En résumé, une légende se différencie du mythe, de la fable, du conte et de l’histoire par sa nature traditionnelle, son lien avec les croyances culturelles, et  sa transmission de valeurs spécifiques. La légende a souvent un fondement géographique véridique, mais comporte également des éléments fantastiques ou  surnaturels qui la distinguent des récits purement historiques.

La légende africaine est constituée de faits réels ou imaginés, d’histoires sous  forme d’anthologie, de poèmes ou de proverbes. C’est un ensemble de proclamations sous forme de contes qui sert à communiquer sur la bravoure, la  morale ou l’éthique. C’est un enseignement du savoir-faire, du savoir-être et du savoir-dire dans la société. Elle participe au développement de l’écoute qui  aiguise l’imaginaire et sous-tend le silence. 

Ce vaste continent qui a enduré toute sorte de traumatismes est fortement éprouvé par une forme d’acculturation profonde, conséquence de l’esclavage et de la colonisation. Mais il est encore resté attaché à l’oralité dont fait partie la  légende. 

C’est un art qui s’apprend dans la jeunesse, à l’âge où la conscience s’éveille aux réalités de la vie communautaire. Cette transmission s’opère souvent la nuit, lors des veillées autour d’un feu. 

C’est ainsi que nous nous rassemblions à tour de rôle. Nous nous retrouvions tantôt chez l’un, tantôt chez l’autre. L’un de nous racontait et les autres écoutaient attentivement. Le récit était toujours ponctué d’exclamations et d’onomatopées que le récitant sollicitait pour maintenir l’attention. 

Il s’exprimait en maître du verbe. Le rituel devait être respecté. Assis autour du  feu suivant le narrateur qui évoque de temps à autre un personnage ou un chant.  Quelqu’un dit en connaître le refrain, qu’il fredonne et tout s’enchaîne, la  mémoire se met en branle et l’histoire se déroule, le feu crépite et réchauffe nos  mains tendues comme pour un exorcisme : il était une fois… le personnage du  récit est souvent un animal, un arbre ou un insecte à qui on prête des attributs  humains. Il est prince ou mage. Il est prophète ou vagabond etc. Il est sorcier ou guérisseur. Le refrain du chant évoqué est repris par l’assistance. La nuit est comme un linceul. La légende africaine épouse la nuit. Il faut éviter la colère de  ceux qui sont de l’autre côté du miroir, les ancêtres que nous convoquons et qui n’aiment pas le jour.

Nul parmi nous ne pouvait se vanter d’être l’auteur d’une légende. « Il faut  toutes les mémoires pour que les légendes naissent et vivent » disait TCHICAYA U TAMSI. Leurs variantes ne sont pas que le fruit des pertes de mémoires qui comblent les trous du passé comme ils peuvent, par une alchimie  particulière. Elles naissent aussi par inversion du sexe des protagonistes, par le  changement des rôles dévolus aux comparses. 

U TAMSI est cet immense poète, maître du verbe, qui a osé transmettre la force et l’esprit de cet art majeur. Il a voulu l’instaurer, à l’école comme un enseignement ayant du sens semblable à l’enseignement de l’histoire,  considérant que de la naissance du monde à nos jours, la légende « s’évertue à  suivre pas à pas l’homme, assistant au développement de ses idées et croyances, expliquant ses faits et gestes » La légende témoigne ainsi de l’origine de l’humain. Elle permet de saisir en même temps le processus complexe de vie et  de mort (l’alliance de l’argile et du souffle étant la vie et sa rupture étant la mort). C’est aussi par la légende qu’apparaît clairement l’ordre de la civilisation. 

Vu sous cet angle, la légende africaine a fait de toutes les âmes qui s’y prêtent, des philosophes, des poètes, des sculpteurs, d’habiles artisans et des architectes, voire des humanistes, se reconnaissant dans la parabole du singe ou de la tortue, de la gazelle ou de l’éléphant, du serpent, du lion ou du léopard. C’est à cette  école que se sont formés les hommes de la trempe de Léopold SEDAR SENGHOR et sa bande de la négritude. C’est la même école qui a forgé l’esprit curieux et critique de Cheik ANTA DIOP et tant d’autres. Chacun d’eux voulant  à sa manière revendiquer et témoigner du passé majestueux du nègre. Peu  importe la polémique autour de tel ou tel autre. La légende africaine a plus que marqué mon esprit d’homme de la savane. 

Je ne peux pas me permettre de classer les légendes par genres cosmogoniques, historiques etc. Leurs messages se chevauchent. Je ne peux pas prendre le risque de me ramener à un niveau rythmique aussi bas, qui accorde la survie aux fossiles disait U TAMSI. Leurs messages se prolongent et décrivent une  trajectoire, qui constitue le destin de l’homme, considéré comme un tout.

La légende Africaine

Celle que je vais vous dire est celle qui dit : Il était une fois, au commencement du commencement, les hommes vivaient séparés des femmes. 

Les femmes possédaient le feu alors que les hommes étaient des chasseurs. La rencontre des deux a donné naissance à la civilisation. 

L’homme ayant découvert l’outil à travaillé l’argile, les métaux et tisser des étoffes. Il a ensuite voulu devenir chef et s’initier aux mystères de la nature. Il a  fondé la cité et cherché à conquérir des empires, qui ont eu leur temps de gloire et qui se sont écroulés. 

Ma légende montre l’humanité dans toute sa dimension sociale, réajustant sans cesse les rapports entre ses différents membres. C’est un cheminement qui se perpétue tant bien que mal. La condition de vie humaine s’améliore toujours de façon inégale, malgré les évolutions scientifiques et technologiques. La légende africaine est aujourd’hui face à un dilemme. Il s’agit de passer de la chose orale à la chose écrite. Une chose est certaine : l’exubérance et les trop riches inventions verbales de la langue parlée s’accommodent mal des canons de la  langue écrite. « De la chose verbale à la chose écrite, il y a un monde sur lequel  il faut savoir jeter un pont afin que le transfert de richesses de l’une à l’autre rive  soit possible ».  

Ma légende dit qu’il était une fois, au début du début des mondes, deux grandes puissances. La puissance du haut et celle du bas. Un jour, le vent s’arrêta. La  puissance du bas s’ennuyait et se mit à bailler. De sa bouche entrouverte sortit de l’argile. Elle dit : je ferai des hommes, des femmes, des poissons, des  animaux et des plantes avec de l’argile. Il en fût ainsi. 

Elle dit, je mettrai du sang dans leurs corps d’argile afin qu’ils vivent selon mon désir. Il en fût ainsi. Mais la vie ne vint pas dans les corps de ses créatures. 

Alors, la puissance d’en bas se mit en colère. Elle abandonna ses créatures dehors et s’en éloigna. La pluie tomba. Des nombreux hommes et femmes d’argile fondirent. La puissance d’en bas prit ceux qui n’avaient pas fondus et les plaça dans une caverne. 

En ce temps-là la nuit était en permanence sur la terre. La puissance d’en bas n’avait pas de feu pour s’éclairer. Cependant, il y avait toujours de la lumière dans le ciel où régnait la puissance d’en haut qui possédait le soleil. 

La puissance d’en haut dit : Donne-moi quelques-unes de tes créatures d’argile. Je leur donnerai la vie, et à toi, je donnerai en échange la lumière de mon soleil. 

La puissance d’en bas dit : Je te donnerai seulement les poissons, les animaux et les plantes d’argile. Je ne pourrai pas te donner, ni les hommes, ni les femmes. 

La puissance d’en haut dit : Je veux aussi les femmes et les hommes.

La puissance d’en bas dit : fais d’abord venir la vie en eux. 

Alors la puissance d’en haut fit venir la vie dans les corps d’argile des hommes, des femmes, de poissons, des animaux et des plantes. 

Les hommes et les femmes se mirent à marcher, les poissons se mirent à nager,  les animaux se mirent à bondir et les plantes se mirent à pousser. 

La puissance d’en haut dit : J’ai fait comme tu me l’as demandé. Maintenant c’est à ton tour de tenir ta promesse. La puissance d’en bas ne voulut rien entendre. Elle ne lui donna rien du tout en retour. 

Alors, ils se fâchèrent, ils se disputèrent et ne se parlèrent plus. Cela depuis ce temps-là et pour tous les temps, jusqu’à la fin des temps. Et depuis ce temps la puissance d’en haut reprend la vie à certains hommes, aux femmes, aux  animaux, aux poissons et aux plantes.

Quand la puissance d’en haut se dispute avec la puissance d’en bas, l’une ou l’autre créature est malade, c’est aussi le temps des tempêtes, de guerre, et celui où souffle le sirocco. C’est le temps des tsunamis et de la colère du volcan. 

La puissance d’en bas aimerait aussi s’accaparer des étoiles. Mais elles sont des pierres précieuses que la puissance d’en haut fait briller pour attirer les femmes. La lune est son œil grâce auquel elle surveille la puissance d’en bas quand vient  la nuit et qu’il reprend le soleil qu’il lui a donné. 

Je vous ai conté ainsi l’une des légendes africaines qui relate la création. Elle est dogon. « Le monde existe, et pour l’expliquer, les mythologies offrent une tentative d’explication. Il ne peut être question de dire si les unes ou les autres sont des explications valables. Mais il faut leur prêter l’attention voulue » 

Ainsi parlait TCHIKAYA U TAMSI, le sage poète africain. Sans vouloir abuser de votre temps si précieux, laissez-moi vous dire aussi le mot de la fin : 

Je suis un dieu, mais pas le tien. En moi indélébile, la vie éternelle. Je n’ai que faire des dogmes, qui m’aliènent et appauvrissent. En moi vive est la flamme. Je ne puis dire si en toi elle est active. Je ne veux me nourrir que du bien. Je m’allie  à la raison. Et m’extraie de toute illusion. Mon maître mot est amour. Je m’y  attache sans aucun détour. 

Cheikh Anta Diop né le 29 décembre 1923 à Thieytou, dans le département de Bambey, région de Diourbel a été l’un des penseurs africains les plus influents du XXe siècle. Historien, scientifique et homme politique, le chercheur sénégalais a développé la théorie d’une Egypte ancienne profondément africaine. Il est de ceux qui ont puisé dans les mythes et légendes africains pour étayer une nouvelle vision de l’histoire africaine. Il adopte un point de vue spécifiquement negro africain face à ceux qui soutiennent que les Africains sont des peuples sans passé.

D’ailleurs, les créateurs africains modernes devraient réinterpréter constamment leurs légendes, afin de les adapter aux enjeux de notre époque. 

Cette réappropriation devrait se manifester dans l’industrie du divertissement. L’impact des mythes et légendes va bien au-delà du domaine artistique. Leur  empreinte est profondément ancrée dans notre langage quotidien, l’expression  « akuna matata » émanation de la légende du roi lion, s’est, par exemple, répandue dans le langage populaire. 

La mythologie continue d’influencer la philosophie et la psychologie modernes. Les archétypes de Jung, par exemple, y puisent largement des figures pour explorer les profondeurs de la psyché humaine. Ces récits ancestraux constituent des clés pour comprendre notre nature et nos comportements, offrant un miroir à  nos aspirations et nos craintes les plus profondes. 

Il est certain que ces mythes continuent de façonner notre compréhension du  monde. Leur capacité à transcender les époques et les cultures témoigne de leur  universalité et de leur pertinence au fil du temps. 

L’histoire de l’Afrique commence avec l’apparition du genre humain, il y a environ 2,6 millions d’années (cet hypothèse est par ailleurs remise en question  par les apôtres de la physique quantique, notamment)  

Le continent est le berceau de l’humanité, où s’est élaboré, il y a 200 000 ans environ, l’humain moderne qui s’est par la suite répandu dans le reste du globe. 

Les mythes et légendes jouent un rôle crucial dans la formation et la préservation de l’identité culturelle. Ils servent de fondement aux valeurs  collectives, transmettant d’une génération à l’autre les principes moraux et  éthiques qui structurent la société. Cette fonction perdure dans notre monde moderne, où les communautés s’appuient sur leurs récits traditionnels pour maintenir leur cohésion face aux changements de plus en plus vertigineux.

Festivals et traditions populaires trouvent leurs racines dans des récits légendaires. Ces événements servent de lien tangible entre le passé et le présent,  renforçant le sentiment d’appartenance à une culture commune. Nous pouvons  dire que l’influence des mythes se manifeste constamment dans les célébrations et les rituels contemporains. 

Samuel Tambue Kanyuka, à l’Ile de la Réunion le 14 Janvier 2025

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3 commentaires

  1. De belles émotions à la lecture, une imagination qui s’envole … merci d’avoir partagé cette formidable légende, merveilleusement écrite.

  2. Jean-Claude dit :

    Très très intéressant. Très bien écrit.

  3. Jolie légende. J’ai aimé la poésie 🙏🌺
    L’alliance du Divin, dans la matière (le corps)
    Un travail d’équilibriste, dans le jeu de la Vie.
    Merci Samsam’ pour ces belles lignes.

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