Photographie personnelle de l'autrice, sur le Fleuve en Guyane

Récit d’une Sage-femme, dans les régions excentrées

Je m’appelle Pascale. Je suis sage femme diplômée depuis juin 1990. J’ai eu un parcourt assez atypique : j’ai travaillé en tant que sage femme en hôpital, clinique, PMI et en libéral mais aussi en tant que professeur à l’éducation nationale et à l’école de sage-femme. J’ai également travaillé en associations. La vie m’a permis de vivre en outre mer depuis 1998 : Guadeloupe, Saint Martin, La Réunion, Saint Pierre et Miquelon et aujourd’hui, depuis 4 ans, la Guyane.

Photographie personnelle de l’autrice

A mon arrivée sur ce territoire, j’ai été affectée à Saint-Georges de l’Oyapock, petite ville de l’ouest guyanais à la frontière du Brésil. Le poste que j’occupais était vacant depuis plus d’un an. Je suis arrivée en pleine crise du covid et la commune avait été isolée pendant plusieurs semaines. Tout était à refaire. Saint-Georges est une jolie petite ville.

J’ai pourtant été très choquée au début par la précarité de la quasi totalité de ses habitants. Seuls les fonctionnaires (hôpital, éducation nationale, administrations) et les commerçants sont logés décemment.

Rapidement, j’ai dû aller en visite à domicile chez une de mes patientes, mineure, qui vit avec son conjoint et leur nouveau né : une pièce nue avec un matelas très abimé au sol où ils dorment tous les trois, une petite cuisine sans réfrigérateur, sans plaque de cuisson, un petit lavabo dont l’eau provient du fleuve (pas d’eau potable), un WC qui donne sur le fleuve , pas de salle de bain, une chaise en plastique. Bref, juste un toit à mettre sur leur tête.

Je me souviens n’avoir rien dit lors de ce passage à domicile si ce n’est comment ça se passe avec l’enfant …. En sortant, j’ai demandé à ma collègue assistante sociale comment je pouvais appliquer les critères de maintien des nouveaux nés de parents mineurs à domicile, à savoir : le logement doit être propre l’équipement sanitaire et matériel minimal. Dans cette configuration, nous étions très loin de ces critères (à part la propreté du logement, sans prendre compte du matelas).

J’ai fait plusieurs visites à domicile comme dans cette maison avec des pièces de tissus faisant office de murs et de porte, des sols en terre battue, une tôle servant de toit, pas de sanitaire …. bref, un autre monde. Les loyers sont excessifs même pour ce genre de logement. Heureusement, il y a une grande solidarité familiale et amicale qui permet à cette population de s’en sortir tant bien que mal de petits jobs, trafics, etc…

La population est majoritairement d’origine amérindienne et brésilienne. Le français est peu parlé. Les amérindiens sont vraiment très gentils. Malheureusement, ils n’osent pas donner leur avis et leur opinion qui diffèrent de la culture occidentale. C’est compliqué pour eux de se faire entendre et comprendre. Pourtant, ils ont des connaissances ancestrales de plantes et remèdes médicinaux.

Mon travail consiste, à suivre les grossesses, recommander des contraceptifs, faire des consultations de suivi gynécologique entre autres. Je propose habituellement un traitement, un geste (par exemple de pratiquer un frottis cervico-vaginal) lors de ma consultation. Combien de fois la personne devant moi était étonnée, perdue, que je leur demande leur avis. Aucun médecin, sage-femme, infirmière ne leur donne le choix.

Les habitudes ancestrales ont pour beaucoup été enlevées à cette population. Nombreux se réfugient dans l’alcool et la drogue, très présents. Ils sont critiqués pour cela par une partie de la population guyanaise. Leur a t-on seulement donné le choix ?

Photographie personnelle de l’autrice, un bout de Camopi, Guyane

J’ai eu la chance de pouvoir aller à leur rencontre sur le fleuve : Trois palétuviers et Camopi, deux villages amérindiens.

C’est un petit village de 300 à 400 personnes qui vivent encore de leur tradition de pêche, de chasse et de culture. Chaque famille possède son Abbati où poussent majoritairement du manioc, base de leur alimentation, et des bananes. La terre est pauvre et acide donc difficilement cultivable pour du maraichage. 4 à 5 grandes familles se partagent ce grand terrain. Le chef coutumier, gère la vie du village. Il y a une école primaire où les enseignants sont résidents à l’année. Un groupe électrogène qui ne fonctionne que le matin, pendant les cours, et encore !

Les collégiens se rendent à Saint-Georges. Ils partent le matin et reviennent le soir, 5 fois par semaine. Beaucoup arrêtent l’école après la troisième. A l’époque, il n’y avait pas de lycée sur Saint-Georges et les lycéens devaient se rendre sur Cayenne. Un lycée a ouvert en début d’année scolaire 2023/2024. Espérons que cela les incite à continuer leurs études.

Je travaillais dans un petit dispensaire où nous devions faire le ménage en arrivant. Je m’y rendais une fois par mois pour rendre visite aux femmes enceintes et autres consultations si besoin. Le matériel y est très précaire et souvent, je devais demander à ma patiente quand elle pouvait venir sur Saint-Georges afin de lui faire des examens ou gestes nécessitant davantage de matériels ou d’hygiène.

Aller à Trois palétuviers fut un bol d’air dans ma routine. La simplicité et la gentillesse de ses habitants était une bouffée d’oxygène. J’ai vécu tant leurs joies que leurs peines. 2 de mes patientes ont perdu leur bébé : une lors de la grossesse pour une séroconversion de la toxoplasmose et l’autre à cause d’une malformation cardiaque. Nous avons pleuré ensemble, les ai prises dans mes bras. Certains diront que ce n’est pas professionnel mais je m’en fiche un peu. J’ai fait ce qui me semblait bien à faire dans ce moment . Nous avons crée des liens et le village m’a accepté.

Lorsque j’ai annoncé mon départ, beaucoup m’ont exprimé leur regret. Aujourd’hui, je ne suis toujours pas remplacée et les femmes doivent se rendre de leur propres moyens sur Saint-Georges et cela n’est pas toujours simple. J’ai eu l’occasion de revenir quelque mois plus tard. J’ai profité d’une mission avec mes anciens collègues pour y aller. J’ai eu la surprise qu’une de mes anciennes patientes me prenne dans ses bras. C’est tellement inhabituel chez les amérindiens si réservés et pudiques !!! De Saint-Georges, c’est ce village qui me manque le plus.

C’est un village qui, jusqu’à l’année dernière, était interdit aux touristes. Je suis allée 4 fois au début de ma prise de fonction à Saint-Georges. Malheureusement pas plus à cause de gros problèmes de logistiques que j’ai fait remonter à mon administration et qui n’ont, à ce jour, toujours pas été résolus.

Je me rendais sur Camopi pour essentiellement des suivis de grossesses, en moyenne 35. J’arrivais le lundi en début d’après midi pour retourner le vendredi matin par la première et seule pirogue de la journée. 30 suivis minimum à faire en moins de 3 jours. Beaucoup de mineures, de début de grossesse, de mauvais suivi car les patientes n’ont pas toujours la possibilité d’aller sur Cayenne ou Saint-Georges pour leur échographie ou parce que nos patientes ne voient pas toujours l’intérêt d’un suivi de grossesse.

La première fois que je suis allée sur Camopi, j’ai été éblouie par la beauté de la forêt sur le fleuve, la beauté de ce petit village tout près de la frontière brésilienne ou d’un petit coup de pirogue de 2 minutes, nous pouvions aller et venir. Bon, théoriquement, nous n’avions pas le droit mais la vie se fait naturellement d’un coté ou l’autre de la frontière.

Il n’y a de voiture hormis celle de la gendarmerie et des pompiers. Il y a une école, un collège, un dispensaire où des spécialistes viennent une fois par mois voire tous les deux mois pour des consultations. Deux infirmiers et deux médecins à demeure qui se partagent les gardes. Il faut jouer des coudes pour que la salle d’examen soit libre quand on vient sur place.

La population y est attachante et en même temps, tellement distante. Beaucoup d’alcool encore. Beaucoup de violences intra conjugales. D’accidents.

Le dernier jour avant mon départ, je terminais mes consultations lorsque j’entends crier dans l’entrée. Une famille avec leur petit de 3 ans qui venait de se noyer dans le fleuve. Tentative de réanimation puis arrêt. Aucune autre possibilité que de constater l’échec de notre tentative. Les pleurs, la consternation de l’équipe….. Durant mon séjour à Saint-Georges, pas moins de 5 enfants sont décédés de noyade.

Mais quelle belle expérience de comprendre la vie dans ces villages. Les anciens viennent encore en pagne au dispensaire. Les jeunes s’habillent à l’occidental. Il y a encore des Abbatis mais dans les petits villages autour.

De retour à Saint-Georges, j’ai mis plusieurs heures à me remettre au diapason de la ville avec ses voitures, sa population et pourtant, je n’était qu’à Saint-Georges !!!

La majorité des habitants de Camopi vivent des allocations familiales. J’ai été très choquée par la réaction de l’hopital de Cayenne envers cette population très excentrée. J’ai dû appeler le 15 pour demander une évacuation sanitaire pour une mineure en début de travail sur une grossesse de 7 mois. Je n’avais aucun traitement pour arrêter les contractions. Nous n’avons eu l’hélicoptère que le lendemain matin. Heureusement, les contractions s’étaient arrêtées d’elles même dans la nuit mais il a fallu tout de même une hospitalisation avant son retour avec bébé. Un médecin m’a dit  » ils veulent vivre à l’écart, c’est leur choix, ils doivent aussi avoir les conséquences de cela ».

C’est choquant. Je lui ai dit que sur le territoire français, chacun à droit aux mêmes chances médicales. N’est-ce pas ce que l’on nous répète ???


Je suis restée deux ans et demi sur Saint-Georges. Ma vie y était rythmée par mon travail. Un week-end sur 3, nous allions à Cayenne, 180 km mais quasiment 3 heures de route, pour des grosses courses. Au début, nous n’avions pas le droit d’aller coté brésilien mais nous avons très rapidement contourné cela au vu des allers et retours très fréquents entre les 2 pays.

Je recevais beaucoup de patientes habitant Saint-Georges mais aussi au Brésil. Je travaillais avec mes collègues du CDPS (sorte de dispensaire médical avancé). Celles-ci étaient plus jeunes que moi et j’ai servi de maman de substitution pour certaines.

Le travail en région éloignée est difficile et nous sommes livrés à nous même. Mais dans un même temps, cela permet notre autonomie. C’est très enrichissant, humain et valorisant. J’ai vu de tout pendant ce séjour : des soignants qui viennent pour tout révolutionner, ceux qui viennent car la paye est bonne mais aussi de très belles personnes, de très belles rencontres que je côtoie encore.

J’ai quitté Saint-Georges parce que je ne pouvais plus travailler dans ces conditions difficiles où les décisions administratives vont à l’encontre de mes valeurs de soignante. Je pouvais me contenter de faire « comme je peux » et ça aurait été parfait comme cela. Mais je n’ai pas pu.

Aujourd’hui, je suis à Kourou. La population est différente : Haïtienne, surinamienne en majorité. Mais les mêmes problèmes sont rencontrés sur l’ensemble du territoire. Nous manquons de moyens, de temps, d’effectifs pour faire notre travail « correctement ». Mais nous le faisons.

Pascale

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