Poésie d’Aného
Aného est une vieille citée sur le Golfe de Guinée, l’ancienne Côte des Esclaves. Elle a comme Ouidah à l’Est et Elmina à l’ouest, connue cette activité déshumanisante. Marquée par cette histoire, Aného se refait ! Se réconcilie avec ses vieux démons.
Ses Enfants, du dedans et du dehors, de tout le Ventre de l’Atlantique. Ville fortement ancrée dans les spiritualités endogènes, c’est la ville des sirènes et des vaudous, entre la lagune, le fleuve et la mer. Aného est une beauté en bleue.
Enfin, la maison ! Aného ….
Cette ville me tient, me charme, m’envoûte et me conquiert par la largesse de son cœur et la chaleur de ses bras. Elle m’émoustille de la divine présence de ses dieux sur les épaules de ses Hommes. C’est ici que le chemin de mes années pendues, des fouets au strange fruit, entre les fuites vers les quilombos, et le sabotage des plantations, l’effacement du dedans et du dehors nègre, entre ghettos et favelas, la renaissance au terreiro m’a menée. Délivrée de mes vieux démons, je suis désormais, là où tout a débuté !
Racines
Je me remets à ce pays
Où, le ciel embrasse la terre
les Hommes sont Dieux
D’âme et de sang
à jouer et à conter
à danser
à deviner de fâ, cauris sur le sable
des figures géométriques dans le vent
à sciencer
Ici, c’est depuis son couvent
que Heviesso se fait gendarme
surveillant la ville
au son des tambours
Dieu à minuit
Homme à midi
Ici
c’est de vherbe qu’on fait naître le jour
et de feu, on éteint l’eau
c’est d’ici que je viens
du comptoir d’Aného
entre Elmina et Ouidah
de sueur et de sang
de fouets et de chaînes
trainée jusqu’au quai englouti de Valongo
Ici
les Dieux boivent à la coupe des humains
d’un verre au sol pour les ennemis
(effaceurs de traces et coupeurs de racines)
et de deux calebasses d’eau
(à la paix et au bonheur des Bons partis
souffleurs derrière le rideau du Grand Théâtre)
plus quatre poignées de pâte salée pour ceux restés :
voilà la Sainte Trinité !
au nom de ceux qui étaient
sont
et seront !
Hommes et enfants enjoués, je me suis sentie vivifiée du parfum envoûtant de ces femmes : déesses aux poitrines pleines, oins, luisantes jusque sous la percale. Ici, j’ai souri vrai et gai. Ma deuxième fois. La première sur mes dernières racines à Bahia, perchée et dodelinant du haut de mes soixante-dix ans et barytonnant. J’aurais pu m’exclamer de joie à ce couchant de ma vie, la maison retrouvée, sans regret et m’exalter : « enfin, je peux mourir ! » C’est pourtant l’effet inverse qui me prend. Je veux bien profiter de cette ville, ce pays enchanteur et chatoyant. Où la saveur du vatapa dans l’acarajé détrône le meilleur des burgers.
Voilà moi.
Moi qui respire, d’air sain d’une ville bientôt quadricentenaire qui se refait. De plus belle ! Historique. Mémorielle. Économiquement viable et écolo. Aného, la prometteuse. Impressionnante, ville fluviale-lagunaire-sur-mer, ai-je lu sur la carte postale. À Aného, eau, terre et feu se font des câlins. Je revis, d’un souffle nouveau. Je me sens revivre et mes lèvres et ma langue ont retrouvé le goût du Cocada que m’avait fait découvrir Angelou. L’amie de l’autre bout d’Harlem, passionnée des dieux et des mets afro-brésiliens, mes origines dont je faisais jusque-là dos. Black-Power, Angela Davis dans le cœur avec presque les mêmes douleurs, elle savait aussi bien manier le stylo, la louche que le Kalashnikov. Amérique oblige, après de nouveaux Floyds ! Agodjié, de l’autre rive de l’Atlantique, elle finit d’ailleurs par s’installer à Ouidah. De ce qui me cloue de bonheur le bec, figure l’odeur des mangues mûres de la Place Miawoézon et le yaka-yakè au feu. Cinquante années à me chercher. Se connaître et s’aimer, ça peut prendre toute une vie. Je comprends mieux pourquoi beaucoup se contentent de la « PAIY ». Un semblant de plénitude malgré les douleurs quand ils se retrouvent seuls, face à eux-mêmes. Les yeux dans le cœur. La paiy brandissent-ils, bien que le fantôme du passé ne cesse de les hanter. Ne rien fouiller. Ne pas réveiller le passé. Tous mon père et les miens.
« Il ne faut surtout pas boire à la coupe des Anciens. Le passé, c’est le passé et il faut s’en passer. Le laisser à la place qui est la sienne et la vie s’en porterait mieux. Il n’est souvent pas beau, voilà pourquoi on le voile. Je l’ai voilé pour toi, pour ton bien, tout comme mes prédécesseurs l’ont fait pour moi. Ce que tu devras faire pour les tiens, les nôtres qui arrivent. Le passé rattrape si tu cours après. Mais avant tout, retiens que s’il en valait la peine, il ne quitterait pas. » M’a balancé mon père au début de cette quête, plus menaçant que prévenant, on croirait la foudre sur la demeure d’un voleur.
Va savoir pourquoi mon père tenait tant à me décourager ! La paiy, mais à quel prix ?! Il se révèle, se réveille avec ou sans notre consentement. C’est souvent assez inquiétant ce que le passé nous réserve. Mais qu’est-ce un arbre sans racine ? Un cure-dent.
– (Rire) J’irai par le vent, la terre, l’océan et le feu, dis-je déterminé. J’irai partout où mon sang, mon passé et mes racines m’enverront. Je ne le crains pas. Beau ou laid, j’en suis le fruit, Papa.
– Tant mieux, dit-il. Va ! Tu te perdras sûrement. Et si jamais tu te retrouves, j’espère que tu supporteras tes racines… J’aurais au moins, pour ma part, en tant que père, essayé de t’en épargner.
Décidée, je pris la route.
Une première pour Bahia. Bahia de tous les Saints et de tous les Orishas.
Dernière racines visible, malgré les tentatives d’effacement.
Une seconde pour Gorée. Les rues colorées.
Rien sur moi…
Une troisième par El Mina. Le fort Danois.
Une seconde fois, rien sur moi.
Une quatrième sur Ouidah, la Route des Esclaves. Zomatchi et Zomayi. Place des Enchères. Horrible !
Encore rien sur moi. Puis dix ans à attendre. Donnant raison à mon père.
Ce ne fut que du tourisme mémoriel.
Même le test ADN en main, ce que je ressens aujourd’hui pour ce pays, jamais, rien ni personne ne me l’a suscité. C’est ici que j’ai embrassé le sol.
Seul Bahia avait payé, pour cela, j’y retournai. En cherchant les dernières ramifications de mes racines à la source.
Aujourd’hui, plus qu’heureuse, presque déboutonnée, je suis autant comblée que l’innocent bonheur des jeunes pensionnaires de Sakpatè. Les orisha d’ici appelés Légba, ont le troisième pied debout et viril. C’est ici et avec eux que j’aurais dû faire souche. C’est par ici que j’aurais dû m’enraciner. C’est ici qu’est ma place. Da yovo éhun yibô, la Blanche au sang noir : et dans leurs yeux, d’êtres et d’esprits, mâles et femelles, scintille la fierté d’appartenir à ce bout d’océan qui tend sa main à la terre, cette terre qui se fait langue, baiser chaud aux lèvres de Da Mamy, les sirènes dans les calebasses d’eau et au front.
Accoudée à mes racines, c’est ici le rythme et la cadence saccadée du brékété qui séduise mon âme. Et l’ambiance colorée des Egungun me captive là où la capoeira et la samba prennent sources. L’Afrique est le fleuve au plus d’affluents, aux bras tendus vers les Amériques, l’Asie, l’Océanie, l’Europe et, des terres passées à celles à venir, jusqu’au Ventre de l’Atlantique.
À l’embarcadère de Miadjoe, j’ai senti mon sang bouillir. Ce sang rejeté, « épuré », « purifié » de la « nigritie ». Le sang des plantations, de la sueur et des fouets. Ceux d’ici m’ouvrent grand la porte du cœur et les bras d’Apunukpa. Aného, terre promise aux sept îles. Me voici enfin au pays. Ici. À mes dernières racines avant l’enlèvement, le rapt et l’enchaînement. Cette autre terre, ma matrie, ma promise et moi, nous nous confondons presque. Chaque bras d’ici m’enlace et, chaque lèvre de cette berge me laisse un baiser chaud à la poitrine. Ils me portent et me supportent depuis mon pied au sol, en sortant du Téléportail d’Aného, sans kérosène ni émission de CO2 ou effet de serre, de l’amlima ou zidodo légalisé, mon cœur dans le vent et ma joie dénouée des retrouvailles. Téléportation.
Quelque part en moi, je connaissais cette terre avant d’y mettre pied. Je l’aimais avant de la connaître. Elle m’a toujours habité. Longtemps. Elle me connaissait quand j’ignorais tout d’elle.
Elolo Djiakpo.
La renaissance. Se retrouver dans la ramification qui relie le passé au présent, annonçant un futur radieux. Promesse tenue dans la résilience… J’ai fait ce voyage, tout ému, avec Alelo entre l’Afra et les Amériques…
Merci Alelo.
Bravo Elolo, j’aime ta poésie. Elle m’a fait voyager avec bienveillance.
Merci pour ce partage.
Merci Elolo pour ce voyage à Aného, hâte que tu nous partages à nouveau ta plume poétique !
J’ai kiffé
El a écrit, et c’est rafraichissant!
Captivant, interessant, nostalgie et fraîcheur. On sent le goût du détail de l’auteur et sa joie d’appartenir à cette localité.
Les traits caractérisant la ville d’aneho y sont bien structurés et tout ceci stipule indirectement une envie de découverte vivace. Merci pour cette belle poésie. 😊🤗
Tout le plaisir est pour moi de décrire cette autre beauté autour de nous.
Merci Rel’.